Retour sur la commémoration du 17 octobre 1961

La municipalité, l’Union locale des anciens combattants et la FNACA se sont rassemblés le 17 octobre dernier au square Boulineau afin de rendre hommage aux manifestants pacifistes des 17 octobre 1961 et 8 février 1962 ainsi qu’à toutes les victimes de la Guerre d’Algérie.

La cérémonie a eu lieu sans public, suite à une décision préfectorale liée aux mesures prises contre la pandémie Covid. Elle s’est donc tenue en présence de la maire, Patricia Tordjman, du représentant de l’ULAC et de la FNACA, Robert Lecomte et de la vice-présidente du Conseil départemental du Val-de-Marne, Fatiha Aggoune. Afin de partager ce moment dédié à la mémoire collective, nous vous proposons ce retour en images ainsi que l’allocution de Madame la Maire, Patricia Tordjman.

Allocution de Patricia Tordjman, maire de Gentilly

Monsieur le Président de l’ULAC, Mesdames, Messieurs des associations d’anciens combattants,

Les dernières mesures annoncées par le Président ainsi que l’arrêté préfectoral du 5 octobre pris pour freiner la pandémie de Covid 19 nous privent de réunion publique. La santé des plus vulnérables d’entre nous en dépend. La saturation des lits de réanimation dans nos hôpitaux aussi. Il nous faut donc accepter de célébrer aujourd’hui cette commémoration en comité restreint. Un retour sera fait néanmoins sur le site de la Ville nous permettant ainsi de rendre hommage, cette année encore, malgré tout, aux manifestants pacifiques des 17 octobre 1961 et du 8 février 1962, morts pour la paix et la liberté. Et de saluer la mémoire de toutes les victimes de la guerre d’Algérie.

Cette guerre dura 8 ans et resta trop longtemps sans nom, absente des livres d’histoire. Passés sous silence : les centaines de milliers de tués qu’elle a causé de part et d’autre de la Méditerranée, la torture et les massacres commis durant cette période terrible. Cette occultation, nous la refusons.

Reconnaissance et justice. C’est ce pourquoi nous nous sommes toujours battus. Et c’est dans cet esprit que j’ai fait poser cette plaque en 2012, avec le soutien de monsieur Lecomte de l’ULAC et de notre regretté monsieur Nisembaum de la FNACA.

En octobre 1961, Maurice Papon, Préfet de police de la Seine, impose un couvre-feu aux Français musulmans. Le même Papon a été condamné en 1998 pour complicité de crime contre l’humanité, ayant pris une part active dans la déportation des juifs, sous l’Occupation. En réaction à cette mesure raciste et colonialiste, quelques trente mille personnes, essentiellement algériennes, venues pour beaucoup des banlieues et quartiers populaires de Paris, dont Gentilly, défilent pacifiquement le 17 octobre, dans les grandes artères de la capitale.

Une répression policière terrible s’abat sur les manifestants. Des dizaines d’entre eux sont frappés à mort, tués par balle, jetés dans la Seine. Onze mille personnes sont arrêtées. Selon les historiens qui tentent aujourd’hui encore de rassembler les preuves, au moins 200 manifestants sont tués. Après ce massacre, le préfet Papon, le premier ministre, Michel Debré, celui de l’Intérieur Roger Frey s’entendent pour étouffer ce crime d’Etat. La presse est censurée. Les instructions judiciaires n’aboutissent pas.

Cette abomination n’arrête pas les violences policières, paroxysme d’une politique de guerre coloniale acharnée. Les jours et semaines qui suivent sont marquées par un climat d’extrême tension. Le 8 février 1962, la manifestation dite de Charonne rassemble à Paris, à l’appel notamment du Parti communiste français, des milliers de pacifistes. Ils dénoncent notamment les attentats de l’Organisation de l’armée secrète, pro Algérie française. L’OAS qui vient de menacer de mort Hélène Edeline, adjointe au maire de Gentilly et qui deviendra première élue ensuite. Elle reçoit alors un soutien sans faille des Gentilléens, des organisations syndicales et démocratiques, comme des ressortissants d’Afrique du Nord, qui la protègent jour et nuit, pendant des semaines.

Les Gentilléens viennent en nombre à la marche de Charonne. Beaucoup seront blessés. Car Maurice Papon donne une fois encore l’ordre de mater violemment cette démonstration pacifiste. On compte neuf morts, tous Communistes.

Ces répressions sanglantes n’éteignent pas le désir d’indépendance du peuple algérien et de très nombreux militants français. Le 18 mars 1962, le gouvernement provisoire de la République algérienne et le gouvernement français signent les Accords d’Evian. Ils se traduisent dès le lendemain par un cessez le feu et mettent fin à la guerre. Un référendum, organisé de part et d’autre de la Méditerranée dans les mois qui suivent, approuve à plus de 90% l’indépendance de l’Algérie. Après 132 ans de présence française sur cette terre du Maghreb considérée comme un département, l’Algérie devient un état souverain.

Le déni d’histoire a perduré de trop nombreuses années. Il a creusé des fossés dans lesquels ont fermenté  la douleur, dans lesquels le rejet de l’autre et les extrémismes ont pu faire leur lit. Il a creusé un peu plus la plaie de la colonisation.

Cette reconnaissance tardive ouvre la voie au travail de mémoire et de justice, au dépassement d’une histoire terrible. Elle réconforte les enfants de la guerre. Elle montre le chemin d’une réconciliation durable entre nos deux pays.

Aujourd’hui, nous rendons hommage aux milliers de morts civils, militants, soldats et appelés de la guerre d’Algérie, dont quatre jeunes hommes de notre ville, morts à 20 ans, aux noms gravés sur cette plaque et au pied du monument aux morts. Dans un désir profond de fraternité entre les peuples, nous célébrons la paix.

Je vous remercie.